• Un cimetière pour nos compagnons :

     

          Le cimetière d’Asnières a son poète, Raymond Queneau, qui a écrit, dans Les chiens d’Asnières : « On enterre les chiens, on enterre les chats, on enterre les chevaux, on enterre les hommes, il y a une tombe pour tout ».

    Situé entre la Seine et le jardin Robinson, ce cimetière s’étend sur une parcelle étroite et tout en longueur. Sépultures alignées de part et d’autre d’une allée centrale, tombes anciennes recouvertes de mousse, stèles plus récentes et entretenues, pots de fleurs brisés, bouquets renversés ou fraîchement déposés… Le lieu est en tous points semblable aux cimetières que l’on connaît. Si ce n’est la petite taille des tombes, les photos et les épitaphes à la mémoire de Patapon, Rita, Tommy, Bella… Ici, les défunts sont des animaux, chiens et chats surtout mais aussi lapins, cheval, tortue, poule, poissons, rongeurs, mouton et singe.

    Ouvert en 1899, ce cimetière a été le premier du genre au monde. À l’époque, les cadavres des animaux devaient être apportés dans les vingt-quatre heures chez l’équarrisseur. Mais en pratique, ils étaient jetés avec les ordures ménagères ou dans la Seine. Des témoignages de l’époque relatent que 8 000 à 10 000 chiens et 900 à 1 200 chats étaient repêchés chaque année, ce qui représentait un chien tous les quarts d’heure. Pour enrayer ce phénomène, de grandes boîtes métalliques sont installées aux vingt-quatre portes de Paris, afin que les particuliers y déposent les cadavres. Une loi de 1898 autorise ensuite l’enterrement des animaux domestiques "dans une fosse située autant que possible à cent mètres des habitations et recouverte d’un mètre de terre au minimum ".

    Ouvrir un cimetière animalier devient possible. George Harmois et la journaliste Marguerite Durand fondent la Société Française Anonyme du Cimetière pour Chiens et autres Animaux, et achètent une île à Asnières-sur-Seine. Le cimetière, qui a, depuis, perdu son caractère insulaire, est créé en 1899, pour des raisons d’hygiène mais pas seulement. Au début du siècle, le regard sur les animaux évolue ; l’animal n’est plus vu comme utilitaire. Il devient animal de compagnie et ses conditions de vie s’améliorent. En 1824, une Société Protectrice des Animaux a vu le jour en Angleterre et en 1845, la SPA française a été créée.

    Témoins du lien unissant hommes et animaux, la direction du cimetière d’Asnières fait dresser des monuments à la mémoire de chiens héros. Comme Barry, appartenant aux moines de l’hospice du Grand Saint-Bernard, qui a sauvé la vie de nombreux pèlerins et voyageurs. De même pour Mémère, fidèle compagne de soldats de la guerre 14-18, et pour plusieurs chiens policiers, victimes du devoir. Ou encore pour Moustache, mascotte de la Grande Armée de 1799 à 1811. Les sépultures officielles paraissent bien sobres à côté de certaines stèles érigées par les concessionnaires privés, pour leurs défunts minets et toutous.

    Pierres tombales modestes, naïves, ou somptueuses au goût douteux manifestent l’attachement profond des maîtres à leurs fidèles compagnons. Des ornements fantaisistes, vieillis par le temps, côtoient les classiques bouquets de fleurs en plastique. On s’amuse à passer en revue les multiples statuettes en forme de chat, de chien ou encore de poule et de lapin. Les objets souvenirs à l’effigie des animaux se déclinent sous toutes les formes. Écuelle, bibelot, peluche, porte-clés, figurines, guirlandes, sapin de Noël miniature… et même une statuette de mouette, sur la tombe de Kiki, peut être en souvenir du bord de mer où vécut l’animal. Pour Kate et Aaron, jeunes Américains du Minnesota en visite au cimetière pour la première fois et propriétaires de deux chiens, "le lieu est émouvant avec ses décorations kitsch et les messages enamourés ".

    On peut être touché par les marques d’affection qui s’affichent sur les tombes. Ici, une photo des chattes Tendresse et Rosa avec leur maîtresse, là, les balles fétiches du chien Fripon, exposées dans un bocal. Sur la tombe de Tommy, ses compagnons de jeu, des enfants, ont déposé une vieille peluche usée et des figurines pour accompagner leur fidèle ami canin dans sa nouvelle maison. Sur la simple stèle de pierre de Qualie la poule, une réplique en plastique trône fièrement, comme pour rappeler sa légitimité en ces lieux.

    Qu’ils soient chiens, chats, poules, oiseaux, lapins, tortues, chevaux ou singes, leurs maîtres ont noué avec eux une relation de profonde amitié, parfois une dizaine d’années de complicité. Certaines épitaphes affichent l’expression de sentiments forts, d’une femme à son "fils", de maîtres à leurs "garçon chéri", d’un homme à son "meilleur copain" ou à "sa petite muse". Toutes reflètent la reconnaissance du maître, la tendresse qu’il a éprouvée envers son compagnon de vie. Autre témoignage gravé dans la pierre, "Youpi, ton immense affection a illuminé ma vie. Je suis tellement triste sans toi et ton merveilleux regard" .

    L’homme et l’animal sont devenus étroitement interdépendants. L’animal de compagnie a un rôle social évident. C’est lui qui partage la vie quotidienne de la famille, que l’on peut choyer, cajoler, avec qui l’on partage les activités, les promenades, les vacances, qui se fait le confident, le compagnon de jeu, le lien avec les autres. En France, plus d’un foyer sur deux a un chien, un chat, un poisson ou un rongeur. Ce qui en fait le pays comptant la plus grande population d’animaux domestiques d’Europe. Parfois, l’animal se substitue à l’être cher disparu, ou comble un manque : "Sophie mon bébé, nous avons eu 17 ans d’amour, toi et tes petites sœurs, vous avez remplacé l’enfant que je n’ai pas eu" .

    De tels épanchements sentimentaux pour des bêtes ont fait l’objet de railleries et de critiques, dans les premières années du cimetière d’Asnières. En 1905, un journal se moque de cette "nécropole pastiche, ces excès de douleur". Un autre s’insurge de cette "grotesque déviation du sentiment" et se scandalise des inégalités qu’entraîne "ce cimetière de chiens de riches qui ont droit à des tombes alors que des milliers de personnes sont jetées dans la fosse commune", où le mépris des pauvres est affiché à travers des monuments "qui coûtent la subsistance de vingt familles" .

    Pour les propriétaires d’une concession, il semble que l’attachement porté à leurs compagnons à poils mérite les 116 € par an renouvelables ou les 3 900 € pour 20 ans renouvelables. "Ils ne sont pas forcément tous riches, mais c’est important pour eux de rendre hommage à leur animal, qui a partagé parfois dix, quatorze ans de leur vie, relate Florence, gardienne des lieux. Certains passent tout l’après-midi au cimetière, d’autres y restent une heure, et on connaît une personne qui vient ici tous les jours rendre une petite visite à son chien" . Les 869 propriétaires viennent de la France entière et certains sont étrangers, anglais, allemands en majorité, comme en témoignent les consonances anglophones des Sweety, Penn-Ween et autre Mister Floyd. Les chiens Kajtus, Yyk ou Taminha reposent eux aussi bien loin de leur pays d’origine.

    Des célébrités ont également enterré là leur animal. On y trouve le chat d’Henry de Rochefort, les animaux de Camille Saint-Saëns ou de Sacha Guitry. Deux chiens ayant connu la gloire de leur vivant ont une tombe à Asnières, les chiens Prince of Wales et Rintintin. Le premier, un chien acteur, a joué "406 fois sur la scène du Théâtre du Gymnase" entre 1905 et 1906. Quant au célèbre berger allemand Rintintin, c’est le valeureux héros de films d’aventures et de western produits entre 1923 et 1932 par la Warner.

    Mais parmi le millier de stèles, la plus émouvante est peut-être le monument érigé à la mémoire d’un chien errant, venu mourir aux portes du cimetière en 1958.


    (Article d' Émilie Etienne pour Le républicain Lorrain)

     

     

                                                      tourisme-le-cimetiere-animalier-ou-cimetiere-des-chiens-a-a.jpg

    « Vivre avec son chat :Enclos (suite) »

  • Commentaires

    1
    Mercredi 31 Octobre 2012 à 23:25
    Sara

    Je dois faire bravo une autre fois pour cet article et pour les français qui aiment tant des animaux, et pour ce cimetière. Bisous.

    • Nom / Pseudo :

      E-mail (facultatif) :

      Site Web (facultatif) :

      Commentaire :


    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :