• Lecture :

    Quelques extraits d'un recueil de nouvelles de Colette  (Les Vrilles de la vigne) qui a toujours su émailler ses écrits de présences félines, personnages à part entière, délicatement dépeints sous sa plume :

     

    DE QUOI EST-CE QU’ON A L’AIR ?

     

    (...) Au tintement des cuillers, ma chatte grise vient d’ouvrir ses yeux de serpent. Elle a faim. Mais elle ne se lève pas tout de suite, par souci de pur cant. Mendier, à la façon d’un angora plaintif et câlin, sur une mélopée mineure, fi !... De quoi est-ce qu’elle aurait l’air ? comme dit Valentine... Je lui tends un coin de toast brûlé, qui craque sous ses petites dents de silex d’un blanc bleuté, et son ronron perlé double celui de la bouilloire...

     

     

    LA GUÉRISON

    (...) La chatte grise est ravie que je fasse du théâtre. Théâtre ou music-hall, elle n’indique pas de préférence. L’important est que je disparaisse tous les soirs, la côtelette avalée, pour reparaître vers minuit et demi, et que nous nous attablions derechef devant la cuisse de poulet ou le jambon rose... Trois repas par jour au lieu de deux ! Elle ne songe plus, passé minuit, à celer son allégresse. Assise sur la nappe, elle sourit sans dissimulation, les coins de sa bouche retroussés, et ses yeux, pailletés d’un sable scintillant, reposent larges ouverts et confiants sur les miens. Elle a attendu toute la soirée cette heure précieuse, elle la sa- voure avec une joie victorieuse et égoïste qui la rapproche de moi... Ô chatte en robe de cendre ! Pour les profanes, tu ressembles à toutes les chattes grises de la terre, paresseuse, absente, morose, un peu molle, neutre, ennuyée... Mais je te sais sauvagement tendre, et fantasque, jalouse à en perdre l’appétit, bavarde, paradoxalement maladroite, et brutale à l’occasion autant qu’un jeune dogue. (...)

     

    NONOCHE

    (...) Les montagnes bleuissent. Le fond de la vallée s’enfume d’un brouillard blanc qui s’effile, se balance et s’étale comme une onde. Une haleine fraîche monte déjà de ce lac impalpable, et le nez de Nonoche s’avive et s’humecte. Au loin, une voix connue crie infatigablement, aiguë et monotone : « Allons-v’nez – allons-v’nez – allons-v’nez... mes vaches ! Allons-v’nez – al- lons-v’nez... » Des clarines sonnent, le vent porte une paisible odeur d’étable, et Nonoche pense au seau de la traite, au seau vide dont elle léchera la couronne d’écume collée aux bords... Un miaulement de convoitise et de désœuvrement lui échappe. Elle s’ennuie. Depuis quelque temps, chaque crépuscule ramène cette mélancolie agacée, ce vide et vague désir... Un peu de toilette ? « Comme je suis faite ! » Et la cuisse en l’air, Nonoche copie cette classique figure de chahut qu’on appelle « le port d’armes » Le cou tendu, Nonoche semble une statue de chatte, et ses moustaches seules remuent fai- blement, au battement de ses narines. D’où vient-il, le tentateur ? Qu’ose-t-il demander et promettre ? Il multiplie ses appels, il les module, se fait tendre, menaçant, il se rapproche et pourtant reste invisible ; sa voix s’exhale du bois noir, comme la voix même de l’ombre. Dans sa corbeille, l’obscurité éveille peu à peu son fils qui se déroule, chenille velue, et tend des pattes tâtonnantes... Il se dresse, maladroit, s’assied plus large que haut, avec une majesté puérile. Le bleu hésitant de ses yeux, qui seront peut-être verts, – 38 – peut-être vieil or, se trouble d’inquiétude. Il dilate, pour mieux crier, son nez chamois où aboutissent toutes les rayures conver- gentes de son visage... Mais il se tait, malicieux et rassuré : il a vu le dos bigarré de sa mère, assise sur le perron. Debout sur ses quatre pattes courtaudes, fidèle à la tradi- tion qui lui enseigna cette danse barbare, il s’approche les oreilles renversées, le dos bossu, l’épaule de biais, par petits bonds de joujou terrible, et fond sur Nonoche qui ne s’y attendait pas... La bonne farce ! Elle en a presque crié. On va sûrement jouer comme des fous jusqu’au dîner. Mais un revers de patte nerveux a jeté l’assaillant au bas du perron, et maintenant une grêle de tapes sèches s’abat sur lui, commentées de fauves crachements et de regards en furie !... La tête bourdonnante, poudré de sable, le fils de Nonoche se relève, si étonné qu’il n’ose pas demander pourquoi, ni suivre celle qui ne sera plus jamais sa nourrice et qui s’en va très digne, le long de la petite allée noire, vers le bois hanté. 

     

     

     

     
    « Il pleut !!!!!!! Trop chaud !!!!!!! »

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  • Commentaires

    1
    Lundi 1er Juillet 2013 à 00:23

    J'aime !

    Non, j'adore !!!!

    Merci pour ces petits extraits délicieux.

    Bises - Chantaloup

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    2
    Lundi 1er Juillet 2013 à 13:41

    Ah Colette et ses chats !

    J'aime énormémént !

    Grande poétesse amoureuse des chats (tes) , elle en possédait et se faisait prendre en photo avec !

    Une grande Dame, merci pour ces extraits Marie 

    Doux ronrons à Balrog et Callis 

    3
    Lundi 1er Juillet 2013 à 14:29

    Cela m'émeut, ce quelque chose de fort, que l'on ressent de l'amour du chat.

    Merci bises Marie

    Laurence

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